Exilé à New-York, le propriétaire de bars à succès Yves Jadot arrive dans la capitale : “Vous ne connaissez pas votre bonheur de vivre à Bruxelles”
Parti avec 100 euros en poche en 1986 et après avoir réalisé “le rêve américain”, il ouvre son premier établissement dans la capitale. Son nom : “Confessions”. Ça tombe bien : voici son Grand Entretien
- Publié le 27-04-2024 à 16h14
- Mis à jour le 29-04-2024 à 14h58
Bruxelles-New-York aller-retour. Parti à l’âge de 18 ans avec 100 dollars (euuuh euros) en poche, Yves Jadot a réalisé son rêve américain. De la plonge à patron de plusieurs restaurants et bars branchés et chics à Manhattan aux noms qui sonnent très States (Dear Irving, Raines on the Road ou encore Raines Law Room), le Bruxellois n’a jamais coupé le cordon familial et amical avec “sa “ville comme il dit. Même si la retraite n’existe pas dans son vocabulaire, il a (enfin…) ouvert sa première affaire dans la capitale. Le bar à cocktails très tendy à la déco à la fois baroque et stylée Confessions détonne et attire un public qui aime la nouveauté.
Alors que le Bruxelles bashing est plutôt tendance, Yves Jadot, l’exilé au pays de Trump (”j’éprouve des difficultés à vivre dans des Etats-Unis comme le sien “, avoue-t-il), vante les mérites d’une ville où il fait bon vivre.
Entre Angèle, la meilleure amie de sa fille, Adeline, qui a peint le décor à la Frida Khalo, son fils Jabeeau qui a conçu l’ambiance musicale, les cocktails de son associé Nicolas Vignals, Yves a accepté, lors d’un de ses passages en Belgique, de rebobiner sa vie où Bruxelles n’a jamais été loin du cœur.
"J'éprouve beaucoup de difficultés à vivre dans l'Amérique de Donald Trump"
Après avoir ouvert plusieurs restaurants et bars à succès à New-York, pourquoi avez-vous eu envie de créer votre première affaire Horeca au cœur de Bruxelles qui reste votre ville ?
"Je suis un grand nostalgique. Depuis dix ans, je dis à mes copains que je vais un jour ouvrir un bar ou un resto à Bruxelles. C’est fait et cela me plaît beaucoup."
Votre parcours est atypique. La légende prétend qu’à l’âge de 18 ans en 1986, vous avez quitté Bruxelles pour Big Apple avec 100 dollars en poche ?
"J’avais un peu plus de 100 dollars quand j’ai débarqué à Manhattan et j’avais un petit boulot et un logement. Durant deux ans, j’ai bossé à l’autre bout de la ville. Ensuite j’ai enchaîné les jobs de serveur, bartender puis je suis devenu manager d’un établissement (il fut le propriétaire de la célèbre enseigne La Petite Abeille), puis deux,…"
On peut quand même parler du rêve américain.
"Si le rêve américain signifie que ce n’est possible que là-bas, je dis non. Il est parfois plus compliqué de réussir à Bruxelles qu’à New-York où il y a beaucoup de monde. La compétition est féroce mais c’est moins difficile de s’imposer. Je comprends cette image de rêve américain mais, pour moi, ce ne l’était pas. J’étais venu à New-York pour bosser quelques mois. J’y suis depuis plus de 30 ans."
Votre aventure serait-elle encore envisageable en 2024 ?
"On me demande souvent des conseils pour venir s’installer à Manhattan. Je n’en ai pas. Aujourd’hui, d’autres villes s’y prêtent mieux que New-York. Jadis, on pouvait se loger pour 500 dollars. Désormais, c’est fini. Il faut 3.000 balles pour louer une chambre dans un appart. De plus, les lois sont devenues plus strictes. C’était possible jadis de travailler illégalement et d’être payé en cash. Un serveur est essentiellement rétribué en tips (pourboires)."
"Aujourd'hui, d'autres villes se prêtent mieux à la réussite que New-York"
Durant 38 ans de présence à New-York, quelles ont été vos relations avec votre famille et vos amis en Belgique ?
"J’ai effectué des allers et retours. Pendant trois ans et demi, j’étais considéré comme un illégal, et je ne suis pas revenu à Bruxelles. De peur de ne plus pouvoir rentrer à New-York. Mes meilleurs amis datent de l’école primaire. Un de mes frères est avocat en Belgique, ma mère y est aussi. Deux frères m’ont rejoint aux States ce qui m’a permis d’avoir moins de coups de cafard."
Quand on est Belge à New-York, a-t-on le mal du pays ?
"Au début oui. Surtout la nourriture ou la bière. Quand j’ai ouvert La Petite Abeille, cela m’a permis de déguster à nouveau nos produits."
"Durant trois ans et demi, j'étais considéré comme un illégal. Je n'osais pas revenir en Belgique"
Quand vous avez ouvert votre première affaire, pensiez-vous rester aussi longtemps ?
"Cela a toujours été une parenthèse qui s’est éternisée. C’est seulement ces dernières années que je me rends compte que je dois mettre le frein. J’ai eu la tête dans le guidon. C’est passé très vite. Un moment, nous gèrions 12 établissements. Cela ne permet pas de penser à autre chose. On travaillait du matin au soir, on ne prenait quasiment pas de vacances. J'ai commencé à mettre la pédale douce en stoppant les restaurants pour me concentrer sur les bars à cocktail. J’ai commencé à avoir une vie plus normale. Peut-être un peu trop ce qui m’a donné l’envie de créer une affaire dans ma ville. A Bruxelles."
L’arrivée de Donald Trump au pouvoir a-t-elle eu une influence sur votre décision ?
"Cela a accéléré le processus. J’ai pris conscience que je ne voulais pas rester dans un pays comme ça. Il a donné la parole à des gens qui ne méritaient pas de l’avoir. Aujourd’hui, plus personne n’a peur de se balader avec un drapeau des confédérés dans la rue. Ils clament tout haut leur racisme. Au point que j’ai vendu mon appartement à Manhattan pour aller à Red River à plus d’une heure du centre ville."
Quand le président américain a traité Bruxelles de “trou à rats “, avez-vous dû défendre la réputation de votre pays ?
"Plus d’une fois. Je me souviens d’une anecdote autour de la finale 100 % belge de l’US Open entre Justine Henin et Kim Clijsters en 2003. C’était au beau milieu de la guerre du golfe à laquelle trois pays s’étaient opposés : la France, l’Allemagne et la Belgique que le porte-parole de la Maison Blanche avaient qualifié de loosers. Nous avons été au stade en tant que supporters avec un grand drapeau belge avec l’inscription “We are the loosers”. L’humour belge à New-York. La photo est passée dans Paris Match. Le ministres des Affaires étrangères de l’époque Louis Michel m’a appelé pour prendre une photo avec le drapeau noir-jaune-rouge."
Vous avez donc décidé d’ouvrir, en compagnie de Nicolas Vignals, votre première adresse bruxelloise “Confessions” dans le quartier du Chatelain à Bruxelles. Comment avez-vous décidé du lieu d’implantation ?
"J’adore le quartier de la place Sainte-Catherine où j’habite quand je reviens à Bruxelles. Il m’a été déconseillé car l’accès y est devenu compliqué. J’ai également scruté le Sablon avant d’opter pour Ixelles, un endroit plus accessible pour ceux qui sortent ou qui viennent vers la ville, avec une forte présence des communautaires."
Comment un habitant de New-York juge-t-il le Bruxelles de 2024 ?
"Moi, j’aime bien. Le Bruxellois n’a pas toujours une idée positive de sa ville. Certes, il y a sans doute des événements qui ont eu lieu, des choses qui ont été mal pensées dans le centre ville mais, au décompte, Bruxelles est une ville qui bouge et où il fait bon vivre. Comparez la capitale belge à d’autres villes dans le monde et la balance sera positive."
Vous débarquez dans un monde de l’Horece qui souffre. Et vous, vous ouvrez une nouvelle affaire…
"Je suis novice à Bruxelles. Je vais découvrir. Le Belge aime bien se plaindre. On verra dans un an."
Auriez-vous eu le sentiment d’une carrière inachevée sans un établissement à Bruxelles ?
"Avec Nicolas Vignals, qui a bossé à la Villa Lorraine, je dispose d’un associé de qualité. Un vrai mixologue qui crée des cocktails qui n’existent pas ailleurs. J’avais envie de reproduire ce que je fais à New-York : même si le look est différent (le concept est original avec des fresques d’inspiration Frida Kahlo peintes par sa fille et des références subtiles à la religion dans la déco), le confort, l’ambiance, le produit et le service font la différence."
Vous vous êtes entourés dans la capitale de quelques personnalités bruxellloises.
"Il y a un Bruxelles Café à New-York. J’avais envie que des Bruxellois investissent dans leur ville même s’ils ne sont pas tous de la capitale. L’idée, ce n’est pas un investigateur mais dix d’horizons différents avec un carnet d’adresses."
Votre projet les a tout de suite convaincus ?
"Certains ont dit oui d’entrée de jeu. Certains connaissent mes établissements à New-York. D’autres ont été convaincus par le business plan."
De plus, vous bossez en famille. Votre fille Adeline a conçu les peintures murales et votre fils Jabeeau a créé l’univers musical.
"Elle a conçu de A à Z avec cette influence de la peintre mexicaine Frida Kahlo. Mon fils a lui créé une playlist spécifique à chaque cocktail. Nous vous prêtons un casque et via un QR code vous écoutez durant 60 secondes une musique qui englobe votre coktail. Je n’y croyais pas mais, en tant qu’ex-mathématicien, il m’a expliqué que la musique pouvait influencer la sensation et même le goût de votre boisson."
Dans la déco très originale se cache un chien célèbre Pépette, l’animal de compagnie d’Angèle. Quel rapport avec vous ?
"Je connais Marka, son père, depuis que j’ai 15 ou 16 ans. C’est lui qui me faisait entrer dans les boites de nuit. Nous sommes restés en contact. On connait Roméo et Angèle depuis qu’ils sont nés. Elle est très liée à ma fille Adeline."
"Le projet est d'ouvrir d'autres Confessions. Nous pensons à Gand, Liège ou Paris"
Vous avez ouvert plusieurs bars à New-York. Avez-vous l’intention d’imiter ce modèle en Belgique ?
"C’est le but à terme. Gand me paraît être une ville attractive. Liège aussi. Peut-être Paris, Londres ou Monaco."
Pourquoi ne revenez-vous pas vivre à Bruxelles ?
"Si je pouvais… J’ai encore trop de business a New-Ork. Je possède encore 4 bars, je vais en ouvrir un 5e. Je bosse sur un projet à Hudson Valley. Mais mon but consiste à passer moins de temps aux States, plus à Bruxelles et en Europe."